Dîner le premier de novembre

Quand la plupart des invités furent arrivés, la baronne de Bram annonça :

-« Messires et dames, je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation. Tous n’ont pas pu venir, et ont eu le respect de m'en faire part, mais je tiens à maintenir les joutes oratoires qui ont été prévues, et annoncées dans vos invitations.
Elles auront lieu tout au long de la soirée, pendant le dîner si cela vous plaît. Le principe reste simple, et sans doute le connaissez-vous : quand vous souhaitez déclamer vos vers, vous me l’indiquez et l’un de mes valets… » Ledit valet s’approcha, un plateau sur la main, dans lequel l’on pouvait voir plusieurs petits papiers pliés sur eux-même. «… vous fera tirer les rimes de votre quatrain. Vous aurez quelques minutes pour composer votre tirade à l’adresse de l’un des présents, alexandrins, dizains, huitains, peu importe. Je tiens à préciser que ces rimes ont été déterminées par moi seule et que personne hormis moi dans cette salle ne les connaît.
C’est un jeu, ne prenez pas trop à cœur défaite ou insulte… En dernier lieu, je désignerai celui qui aura le plus marqué par ses vers la soirée qui s’annonce.
Bon appétit à tous, et qu’Aristote soit béni. »

Le repas pouvait commencer, et la baronne adressa un sourire satisfait à son vassal, qui était à plusieurs places d'elle.

se placa derrière la chaise qu'on lui désigna

prit place et salua les convives à nouveau.
S'adressant à la duchesse, il présenta les salutations de leur ami commun, grandpas de sweetscotland

Grandpas? Le cher ami, comment va-t-il? Voici longtemps que je n'ai point eu de ses nouvelles... Et que je n'en ai pas donné non plus hélas.

il est présent en la belle ville du puy en velay..
Son épouse était au plus mal mais se remet péniblement.
Il fut heureux de savoir que je vous rencontrerais et qu'il put avoir de vos nouvelles.

se tournant vers Eleim, un sourire à la bouche, il lui récita, d'un air coquin cette tirade que les rimes lui inspirèrent :


Vilain qui fîtes imparfaite instruction
Pour que prière soit parfaite harmonie
De vos péchés rendez complète contrition
Jamais devant Dieu ne connaitrez Agonie

salua le gentilhomme...

La jeune baronne de Bram entendit dans cette réplique davantage une leçon de morale qu'une attaque de joute. C'est pourquoi elle avait hâte de voir comment répondrait son précepteur.

Un serviteur s'avança et annonça :

-"Velouté de pois chiches à l'huile d'olive."

Le velouté était servi dans de grandes assiettes, bien propres au renard mais peu à la cigogne. Marguerite observait à l'autre bout de la table la jeune roturière qu'avait invitée son précepteur. Elles s'étaient déjà vues, mais la tenue qu'avait la jeune femme fit penser en cet instant à Marguerite qu'elle avait parfaitement sa place dans le monde.

La baronne savait que la bienséance voulait qu'elle ne parle qu'avec ses voisins. Elle réservait ses questions au baron de Saint Félix pour un peu plus tard, et se pencha délicatement près de dame Izarra pour murmurer :

-"Que pensez-vous de la réplique du baron de Largentière, chère amie ?"

Son velouté servi, Aymie leva les yeux vers les convives, attendant que l'ostesse commence.
Puis elle prit sa culhièr et commença à déguster ce premier plat. Elle ne voulait pas qu'on put croire que le seigneur de Villesiscle avait convié une femme sans éducation, aussi rappela-t-elle à elle le souvenir de toutes les recomandacions que sa mère lui faisait lorsqu'elle était enfant.

Après quelques minutes, elle regarda la dame qui accompagnait le seigneur Rekkared et lui glissa :


Je suis bien navrée ma Dame que vous ne puissiez vous joindre à la conversation, et je ne peux qu'espérer que ce velouté sera un baume pour votre gorge et que vous pourrez enfin nous faire profiter de vos pensées.

Izarra avait écouté avec attention le quatrain du baron. S'inclinant légèrement vers sa jeune voisine, elle lui répondit sotto voce

J'ai ouï tantôt le baron parler de son engagement pour notre Sainte Eglise. Je dirais donc que le sens de son quatrain ne surprend guère de sa part, et révèle sa foi. J'eusse pour ma part préféré je l'avoue des vers plus incisifs. Mais je sais qu'entamer une joute n'est point chose aisée. Et vous-même ma chère, que vous en semble?

Servie pendant qu'elle répondait à Marguerite d'un velouté qui dégageait un délicieux fumet, la duchesse en porta une cuillerée à sa bouche en attendant la réponse de son hôtesse.

Citation :

Vilain qui fîtes imparfaite instruction
Pour que prière soit parfaite harmonie
De vos péchés rendez complète contrition
Jamais devant Dieu ne connaitrez Agonie

Margot répondit, l'air pensif :

-"En effet, il faut de l'audace car il est plus aisé de répondre que de commencer. Cette morale aristotélicienne cadre très bien avec le jouteur, mais j'ai du mal à saisir en quoi cette attaque est fondée... Peut-être sait-il sur mon précepteur des choses que j'ignore !"

Elle eut un sourire amusé.

Les serviteurs vinrent remporter les plats vides alors que les discussions continuaient. Ils annoncèrent :

-"Anguille grillée aux herbes."

N'ayant jamais eu l'opportunité de goûter à l'anguille, Aymerssende ne peut s'empêcher de tendre le cou à l'annonce du plat. Elle a hâte de voir à quoi ressemble ce poisson. Aymie se souvient alors d'un conte narré par son père où il était question d'anguilles convoitées par un goupil. Ce remembre l'amuse fort, et elle tente de contenir sa gaiété en s'intéressant à la conversation.
Aymie a entendu le quatrain du baron sans véritablement en comprendre la signification. Mais elle est sûre que le sieur Caerban ne s'en laissera pas conter, car elle l'a déjà vu à l'oeuvre lorsqu'il s'agit d'alexandriner.

Marguerite se permit de hausser un petit peu la voix pour pouvoir parler avec le baron de Largentière, qui finalement était à main senestre puisque le duc de Bellesme n'était point encore arrivé.

-"Il me semble qu'allant à table vous m'aviez soufflé dans un murmure imperceptible qu'il était envisageable mais non certain qu'une jeune femme vienne, en retard mais vous accompagnant malgré tout... Pensez-vous qu'il me faille donner l'ordre de lui garder au chaud tous les mets que l'on nous sert, comme je l'ai demandé pour le duc de Bellesme ?"

Haussant la voix, il répondit:

J'espère, dame baronne, qu'elle ne tardera point, et s'il vous est loisible de garder pour mon amie, une part de ce succulent repas, c'est avec plaisir qu'elle s'en délectera.

Marguerite fit signe à un valet de s'approcher et lui dis :

-"Va en cuisine signaler qu'il faut conserver au chaud une part supplémentaire."

Puis elle retourna la tête vers ses invités et tout particulièrement vers le seigneur de Villesiscle, duquel tous attendaient la réplique.

Eléïm n'avait pas bien compris où le baron désirait en venir.
Il lui avait ainsi fallu quelques secondes pour préparer sa réplique... Elle fut vite prête en son esprit, tant il y avait de chose à dire sur le sujet !

Il se retourna vers Deboitementdumenix et répliqua :

-"Mon cher baron parlez, pour une fois sans fard
Vous semblez un pigeon coincé dans la volière.
Abscons envers les hommes, envers les femmes gaillard,
Dois-je vous enseigner les bonnes manières?"

Puis il continua son repas, tranquillement, avant de s'adresser à Dame Aymerssende :

-"Alors mon amie, goûtez-vous ce fameux repas?"