Avant de passer à table

Précédée par la vieille gouvernante, qui s'effaça devant elle à l'entrée de la pièce, la duchesse se retrouva face à son hôtesse.

Elle observa la silhouette menue en tenue de deuil, au maintien irréprochable, et un sourire apparût sur ses lèvres. La jeune damoiselle avait noble apparence, tout comme sa mère avant elle.

Izarra s'approcha et inclina gracieusement la tête pour saluer la jeune baronne.

Le bon jour ma damoiselle. Je n'ai point encore eu l'occasion de vous remercier de votre aimable invitation. Mon époux hélas ne pourra se joindre à nous que plus tard, s'il parvient à se dégager de ses obligations.

La jeune baronne s'inclina comme il se devait devant la duchesse, puis relevant la tête sourit.

-"Soyez la bienvenue, ma dame, et n'ayez crainte, votre époux m'a remerciée pour vous. Il m'a également dit les raisons de son probable retard... Je vous présente toutes mes condoléances."

Merci damoiselle. Acceptez également les miennes pour le deuil cruel qui vous frappe. Votre mère était une grande dame... et une amie chère à mon coeur, bien que nous soyons quelque peu éloignées après mon départ de Carcassonne.

Le visage de la duchesse s'assombrit quelque peu. Les décès survenaient bien trop fréquemment à son goût ces derniers temps parmi ses proches. Elle fit effort et se reprit rapidement, ne souhaitant pas attrister l'ambiance de la réception.

Je crois que je précède quelque peu vos autres invités ma chère. Malgré la pénible lenteur d'une litière, le trajet depuis Carcassonne ne m'a point pris tant de temps que je l'aurais cru.

-"Je vous remercie..."

La baronne sembla légèrement troublée. La discussion anodine sur le voyage vint à point nommé. Elle reprit contenance et dit d'une voix détachée :

-"Les routes sont en bien meilleur état qu'il y a quelques années, si j'en crois mon intendant. Je ne me charge pas de toutes ces choses - à mon âge, vous vous en doutez, j'ai d'autres choses en tête - mais j'ai constaté en effet qu'il ne m'était point trop difficile de me rendre à Carcassonne et de revenir ici dans la journée.

Quant aux autres invités... Certains ont eu l'indélicatesse de ne point me faire savoir s'ils viendraient ou non. Je leur ai prévu un couvert mais je doute un peu de leur venue. Enfin..."

L'état des chemins du royaume n'est certes pas l'une de vos préoccupations je le comprends. Je n'y prêterai moi-même que peu d'attention si je n'avais souvenance récente des multiples cahots qu'il m'a fallu endurer depuis le Maine. Aristote soit loué, du moins n'ai-je point eu à déplorer de rencontre avec les brigands.

La duchesse se montra quelque peu surprise en apprenant que certains invités n'avaient point eu la courtoisie de répondre à la jeune baronne

Hélas, je crains que noblesse de titre n'aille pas forcément de pair avec noblesse de manières. La goujaterie me semble avoir encore de beaux jours devant elle.

Mais de grâce, dites moi, qui aurais-je l'honneur de rencontrer ce jour en vos murs ma demoiselle?

-"De ceux qui m'ont répondu, vous pourrez rencontrer avec certitude le sire Rekkared de Sìarr, baron de Saint-Félix en Vinassan et très connu pour les Archives qu'il dirige et sa science sigillographique.

Vous rencontrerez également le seigneur de Villesiscle, mon vassal... Feue ma mère l'estimait beaucoup, et si j'ai eu du mal au début à lui trouver des qualités, je ne peux désormais me passer de sa précieuse présence. Il est d'ailleurs mon précepteur, selon les voeux de feue ma mère.

Il se pourrait que nous ayons également la compagnie du Baron de Largentière... Il est de ceux qui n'ont même pas daigné répondre, et je sais qu'il n'a point de réelles manières de gentilhomme. Malgré tout je crois que ma mère l'appréciait. Il aime à poursuivre de ses ardeurs toute femme que son regard croise, et vous qui êtes belle, s'il venait à nous honorer (Marguerite eut un petit regard entendu) de sa présence, vous serez avertie.

Le baron de Saint-Remezi et le seigneur de Villevocance - également héraut du Languedoc - ont décliné l'invitation.

Il n'y avait point d'autres nobles à Carcassonne, cela fait peu j'en ai conscience..."

Margot sourit.

-"Justement, voici le seigneur de Villesiscle dont je viens de parler."

Elle se tourna vers l'un puis vers l'autre.

-"Messire, je vous présente Izarra, duchesse de Bellesme, Comtesse de Beaumont-sur-Sarthe, Baronne de Saint-Verain... Ma dame, je vous présente Eléïm, seigneur de Villesiscle. Mais peut-être vous connaissez-vous déjà ?"

La duchesse se tourna pour saluer le nouvel arrivant et se figea, légèrement interloquée en entendant son hôtesse lui présenter le seigneur de Villesiscle. Eléïm... Une bouffée de souvenirs lui revint à l'esprit

Messire Eléïm.... J'ai le plaisir de le connaître en effet, mais bien des années se sont écoulées depuis notre dernière encontre. Comment vous portez-vous mon ami?

Eléïm s'inclina et ses lèvres frôlèrent la main de Dame Izarra. Il savait qu'elle était revenue depuis quelques jours à Carcassonne, et il l'avait même aperçue lors de la joute, de loin. Mais de là à la trouver ici, en le castel de Bram... Ainsi quand Marguerite avait évoqué le Duc de Bellesme et son épouse, elle parlait de Dame Izarra...
Eléïm déglutit, autant à cause de la présence de celle-ci qui lui rappelait quelques souvenirs, que par sa question, qui comme toutes celles du même acabit qu'on lui posait souvent, le mettait dans un embarras certain, ne sachant pas bien lui-même comment décrire son état en ces si mornes jours de deuil. Cela faisait pourtant presqu'un mois déjà...

-"Je vais bien, ma foi, et vous?"

Je me porte bien également, surtout depuis mon arrivée en Languedoc. Mon mire m'avait fort recommandé de m'installer quelques temps dans un pays au climat plus doux que le Maine, afin de me remettre de certains soucis de santé. Je constate avec plaisir qu'il avait raison.

Izarra s'interrompit un instant en songeant au petit bonhomme grave et digne qui officiait près d'elle comme médecin, et un sourire amusé fleurit sur ses lèvres

Je doute toutefois que ma participation aux joutes lui ait beaucoup plu, je gage avoir bien fait de le laisser en Maine!

Vous êtes donc le précepteur de notre jeune hôtesse. Je parierai damoiselle, que vous vous montrez élève assidue?

-"Parier, ma dame ? Notre Très Saint Seigneur Aristote condamne les jeux de hasard", répondit la jeune baronne avec un grand sourire. La piété de la petite Margot deviendrait peut-être bien légendaire, mais en nulle façon elle n'avait voulu offenser son invité par cette petite remarque.

-"En effet, ma repartie sans doute héritée de mes parents est bien entretenue par les enseignements divers du seigneur de Villesiscle. J'apprends beaucoup auprès de lui et sur de nombreuses choses... Mais la musique et le cathéchisme, d'autres que lui me l'enseignent. Cela lui permet de vaquer à ses propres occupations et moi de voir d'autres visages."

Izarra sourit en retour à son interlocutrice

Je constate en effet que vos réparties sont promptes damoiselle! Notre Sainte Eglise cependant ne distingue-t-elle pas entre jeux de pur hasard, hautement condamnables, et jeux dans lesquels entrent une part de réflexion, divertissement qu'elle tolère? Epargnons ma pauvre conscience, et convenons que mon pari était basé sur les souvenirs que j'ai de vos parents: il me semblait que leur digne fille ne pouvait qu'apprécier les études et les disciplines intellectuelles.

Marguerite se permit de rire très légèrement - le rire était le propre du diable, mais comment s'en passer absolument ?

-"N'ayez crainte, ma dame, vous ne m'avez pas offensée, vous m'avez honorée me semble-t-il..."

Elle se tourna vers le seigneur de Villesiscle :

-"Messire de Sìarr n'était-il pas avec vous ?"

Eléïm écoutait les deux femmes deviser non sans amusement. La petite baronne qui attirait d'habitude tous ses bienveillants regards était ce soir battue par Dame Izarra dont Eléïm observait les traits qu'il n'avait pas admiré depuis longtemps avec un certain plaisir.
Il se tourna pourtant vers celle qui lui avait adressé la parole:

-"Eh bien je pensais qu'il me suivait !"

Arrivant, comme à son habitude, discrètement, Déboit, se présenta devant la porte du castel ou il fut accueilli fort poliment par le personnel de maison qui l'invita à se diriger vers la salle de réception.

Arrivant devant le vestibule, il fut pris d'une émotion forte... cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait fréquenté cette maison.
Il se débarrassa de sa houpelande et se dirigea vers la salle indiquée par le domestique

Présentant ses respects à la duchesse, la jeune baronne et le sieur eleim.

Damoiselle, dit-il en fixant la jeune fille dans les yeux, je vous présente mes condoléances les plus sincères, madame votre mère, qui fut une grande amie, me manque de jour en jour plus grandement.
J'ai pu reconnaitre en vous l'âme de votre défunte mère et me réjoui de vous voir prendre vos fonctions avec autant de justesse

La jeune baronne s'inclina avec élégance en remerciement aux compliments du baron, et eut un sourire léger.

-"Je vous souhaite la bienvenue, messire de Largentière. J'ignorais si vous viendriez ou non, et me réjouis de votre venue. Etes-vous accompagné ?"

Non point, damoiselle, le languedoc a décidé de me mettre quelque peu à l'index pour certaines de mes prises de position en faveur de notre très sainte Eglise Aristotélicienne...
Le droit canon, par exemple, m'a fait perdre maints amis...

Marguerite fronça les sourcils.

-"Je ne crois pas avoir entendu parler de cela, mais il est vrai que je vais bien peu à Montpellier ou même à Carcassonne, préférant la quiétude de Bram.
Mais vous reprocher de soutenir Notre Très Sainte Mère l'Eglise, j'ai du mal à le concevoir..."

Puis après un instant de silence qu'elle utilisa pour regarder autour d'elle ce que faisaient le seigneur de Villesiscle et la duchesse de Bellesme, elle reprit :

-"N'êtes-vous point marié ? J'avoue mon ignorance totale vous concernant..."

Non point damoiselle, je fus une fois en fiancaille, mais la belle fut victime d'une maladie incurable, depuis, je ... l'Eglise a besoin de bras et pas que dans sa hierarchie... je fus curé, archidiacre, et fit fonction d'Eveque un temps. Mais la vie civile m'a vite pris du temps.. je fus maire du puy 7 fois... et créateur d'un mouvement qui devait créer une rénovation, le Hibou, mais l'homme est l'homme et les luttes de pouvoir eurent tot fait de m'ennuyer.
Je fus aussi conseiller spirituel du languedoc, et c'est là que je mis en évidence la difficulté des conseillers languedocien, dont messire l'actuel comte faisait partie, d'accepter la suprématie de notre belle et noble Eglise

Guidant Aymerssende à travers les couloirs, la femme qui l'avait accueillie lui demanda qui elle devait annoncer. Bien embarrassée, Aymerssende lui répondit :

...Aymerssende Grimaud...

Quand elle entra finalement dans le salon où se trouvait son hôtesse et ses invités, Aymie rougissait encore de son hésitation.

Puis voyant Marguerite de Volpilhat qu'elle avait déjà rencontrée à Narbonne dans de tragiques circonstances, elle s'avança en souriant, encouragée par le petit clin d'oeil d'Eleïm qu'elle apercevait derrière.

Bonjorn ma Demoiselle, je suis bien aise de vous revoir. Je vous présente mes hommages.

Elle enchaîna par une petite révérence, ne sachant trop que dire ni que faire

En voyant arriver Dame Aymerssende, Marguerite pensa qu'il était bien temps de passer à table. Elle s'adressa à son interlocuteur d'une voix forte afin que cette réponse fit office d'annonce :

-"Eh bien vous m'exposerez plus en détail votre si passionant curriculum vitae quand nous serons à table."

Lorsque la filleule de feue sa mère la salua, elle répondit :

-"Je suis moi aussi comblée que vous ayez pu venir, en fait je n'en doutais point, Messire Eléïm m'avait prévenue qu'il viendrait avec une amie, je suis ravie que ce soit vous !
Allons, suivez-moi..."

Et elle entraîna tout le monde vers la salle à manger, se retournant espérant voir Messire Rekkared et sa compagne les suivre...

Rekkared et Carmen entrèrent dans la salle. Rekkared s'excusa auprès de tous :

"Veuillez m'excuser, nous devisions de politique avec messire Eléïm, mais afin de ne point manquer à mes obligations envers ma mie, je l'ai attendue avant d'entrer en ce lieu."